Suicide de Pauline en prison : l’Etat condamné

Constat désolant : La France compte parmi les pays qui accusent le plus fort taux de suicides en prison.

Depuis près de 20 ans, la Cour européenne des droits de l’homme développe, principalement au nom du droit à la vie consacré à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, à l’article 3, une jurisprudence visant à contraindre les États à entreprendre une lutte efficace contre les suicides en prison et prendre préventivement des mesures pratiques pour protéger l'individu contre autrui ou lui-même.

Protéger l’individu car il est un fait que la prison place d’emblée le ou la détenu(e) dans une situation de vulnérabilité, situation exacerbée par leur vulnérabilité psychique.

Ainsi, la CEDH nous dit que la responsabilité de l'Etat peut être recherchée, s’il apparait que les autorités ont eu ou auraient dû avoir conscience d’un risque réel et immédiat que le détenu attente à sa vie et qu’elles ont omis de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles et qui, d'un point de vue raisonnable, auraient sans doute paré ce risque.

Pauline avait 26 ans lorsqu’elle s’est pendue dans sa cellule à la Maison d’arrêt de CAEN le 4 février 2020, après avoir fréquenté les Centres Pénitentiaires de Rennes, Nantes et Brest. Elle était écrouée depuis le 14 juin 2018 et libérable en juillet 2020.

Le Cabinet la représentait.

Pauline souffrait depuis son enfance de troubles psychiques à l’origine de passages à l’acte auto et hétéro-agressif, justifiant une prise en charge psychologique et psychiatrique spécialisée, un traitement psychotrope, une reconnaissance MADPH comme adulte handicapée psychique, et un placement sous curatelle renforcée entre 2012 et 2019.

Durant sa période détention, Pauline a tenté à 4 reprises de mettre fin à ses jours.

Alors même qu’une surveillance adaptée avait été mise en place durant la phase d’accueil de Pauline à la maison d’arrêt de Caen, celle-ci a été levée 5 jours après.

Le 21 janvier 2020, Pauline avait alerté l’Administration Pénitentiaire sur le fait que l’encellulement individuel lui pesait.

Quelques jours après, Pauline se donnait la mort.

Saisi par la famille de Pauline, le cabinet a saisi le Tribunal Administratif de CAEN aux fins de voir reconnaître la faute de l’Administration pénitentiaire et condamner l’Etat à indemniser les préjudices subis en raison des fautes commises.

Suivant une décision du 14 décembre 2022, le Tribunal Administratif de CAEN a déclaré l’Etat entièrement responsable aux motifs notamment que :

7. Il résulte de tout ce qui précède que les troubles psychologiques dont souffrait Mme Pauline Depirou depuis plusieurs années, explicités par les expertises psychiatriques de 2017 et de 2018, lesquelles mettent en exergue sa grande impulsivité pouvant amener à des comportements hétéro et auto agressifs en particulier en situation de frustration, étaient connus de l'administration pénitentiaire. Par ailleurs, le parcours carcéral de Mme Pauline Depirou a été marqué notamment par trois tentatives de suicide, dont une par pendaison quatre mois seulement avant la levée de la surveillance renforcée le 17 décembre 2019. En analysant le risque suicidaire de Mme Pauline Depirou comme faible et en procédant à la levée d'une surveillance spécifique dès le 17 décembre 2019, l'administration pénitentiaire a commis une faute. Il résulte de l'instruction que le nombre de rondes avec contrôle à l'oeilleton était de trois par nuit au sein de la maison d'arrêt de Caen dans le cadre d'une procédure normale. Le placement de Mme Pauline Depirou en cellule seule, malgré sa demande de ne pas être isolée, et le nombre de rondes de nuit limité à trois, ne constituaient pas des mesures adaptées aux risques auto-agressifs qu'elle présentait. Si le garde des sceaux fait valoir que les courriers et le comportement de Mme Pauline Depirou le 4 février 2020 ou les jours précédents n'exprimaient pas explicitement un passage à l'acte imminent, elle avait fait part de son mal-être et avait reçu plusieurs décision défavorables qui auraient dû, compte tenu de son comportement impulsif, en particulier en cas de frustration, et de ses antécédents, alerter l'administration pénitentiaire. Cette dernière n'a pas , à compter du 17 décembre 2019, pris les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide de Mme Depirou. Dans ces conditions, l'administration pénitentiaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. A supposer même que l'unité sanitaire-dispositifs de soins somatiques n'ait effectué aucun signalement auprès du centre pénitentiaire de Caen, cette seule circonstance, compte tenu de la connaissance par l'administration pénitentiaire des troubles graves et des antécédents de Mme Pauline Depirou, ne saurait exonérer la responsabilité de l'Etat à qui appartient le cas échéant, s'il s'y croit fondé, de rechercher la responsabilité de l'établissement public de santé. L'Etat doit être déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables du suicide de Mme Pauline Depirou.

Le Tribunal a condamné l’Etat à verser à la famille de Pauline une somme de 100.000 €.

Le Ministère de la Justice n’a pas relevé appel cette décision.